C’est en toute humilité que j’aborde le sujet de la crise du coronavirus et de la covid-19. J’adresse toutes mes pensées pour ceux qui en ont souffert ou qui souffrent suite à une expérience traumatique ou à un décès. Mes pensées vont également au personnel soignant qui a été mis (ou est encore) à rudes épreuves et pour l’ensemble des personnes qui ont permis que la vie continue. Ce n’était pas du tout l’objectif de mon projet, mais comment ne pas parler de la crise du coronavirus quand on a l’ambition de faire un site dont le sujet est la santé au sens très large? Lorsqu’on parle de quêtes de guérison, de méditation… avec, en plus (ça fait beaucoup), la volonté de faire un lien avec une transition anthropologique nécessaire au vu de la situation liée au changement climatique et de l’oppression que cela implique pour une partie toujours plus grande des habitants de la Terre ?

J’aimerais souligner que ce type de crise est un bon révélateur du social… En effet, il est possible de voir comment les institutions ont agit ou (réagit), d’appréhender les perceptions des risques et autres priorités à différents niveaux, de découvrir qui communiquent et pour dire quoi, comment la population se comporte, d’apprécier les critiques et les failles du système. La plupart de ces sujets ont été discutés par de nombreux experts. Un point cependant m’a interpellé lorsque a démarré la controverse au sujet de la chloroquine et avec le Pr. Raoul. Il s’agit de la controverse soudaine, devenue idéologique, avec le clan des « fans » et celui des opposants. Indépendamment de la valeur de la chloroquine comme traitement, ce que je suis strictement incapable d’évaluer, ce qui m’a intéressé, c’est de voir comment une réalité a soudain percée au jour : celle des intérêts commerciaux de l’industrie pharmaceutique et autres liens d’intérêts dans les systèmes de santé, auprès des hôpitaux, dans les institutions internationales et de l’État, des praticiens, médecins en tête.

Cette réalité est si importante qu’elle suscite la méfiance voir l’impossibilité de faire encore confiance aux études publiées, et pire encore à l’adéquation de l’association systèmes de santé et industriel pour relever les défis de la santé, c’est-à-dire avoir simplement pour objectif de soigner et guérir. Pour ceux qui s’inquiètent de cela ou qui en doutent, je vous renvoie au blog de Jean-Dominique Michel qui a eu le mérite de montrer cela encore en pleine crise :

http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2020/04/07/corruption-systemique-quand-meme-pas-chez-nous-305669.html#more

Or, c’est ce que j’ai vu sur le terrain dans mes propres recherches en anthropologie de la santé. En Suisse et ailleurs une partie des personnes en quête de santé ne font plus confiance à la médecine scientifique que pour sa capacité à faire des analyses alors qu’ils n’ont plus confiance envers les traitements. Pour raisons de cette méfiance, le sentiment (et la certitude parfois) que la logique du business a remplacé l’objectif du soin et de la guérison. Pour en revenir non pas aux sentiments et certitudes de quelques patients mais aux critiques internes connues dans les différentes institutions médicales (chez les praticiens, par les revues scientifiques, etc.) mentionnées par Jean-Dominique Michel, je pose la question: Comment une réalité si bien connue a pu trouver un traitement si « délicat » de la part des grands médias nationaux ? D’autant plus qu’elle concerne une discipline qui ce veut parfaitement scientifique et rationnelle ?

Que cette infiltration de la finance et la corruption qu’elle génère dans les secteurs de la santé soit à peine questionnée en pleine crise alors que c’est un fait éminemment avéré me semble en dire long. Comment éviter la suspicion quant au rôle des grands médias et de leur liberté à enquêter? La plupart du temps, on n’aura vu et entendu chez eux que des responsables officiels et des porte-paroles ; enfin bref des spécialistes d’une communication parfaitement maîtrisée, et, en gros, qui ne dit rien. Que se passe-t-il dans le journalisme qui proclame régulièrement qu’ils distillent une information fiable, contre toutes les fake news qu’on pourrait trouver ailleurs? On se demande ce que cela peut vouloir dire.

C’est du moins des symptômes inquiétants pour la démocratie en général et notamment pour une discussion de la gestion des changements climatiques et de ses effets où les enjeux sont largement plus importants puisqu’ils concernent l’ensemble de la vie humaine. En l’occurrence, c’est le problème des objectifs commerciaux, et des strictes intérêts économiques dans les propositions liées aux énergies vertes à la base des stratégies dominantes pour lutter contre le changement climatique. Comment considérer que le publique est correctement et suffisamment honnêtement informé pour faire des choix collectifs éclairés ?

Cela semble de mieux en mieux montrer que certains vivent sur la planète fric et que c’est là l’alpha et l’oméga de leurs réflexions. De plus ces dernières semblent se confondre intimement avec leur éthique, de sorte que tout est utilisé à leur enrichissement. Notamment, ils font de ceux dont le métier est d’informer le principal vecteur de désinformation par le biais de leurs omissions. Ici, je signale le matraquage médiatique propre à occulter d’autres éléments d’importance. Les très mauvaises langues diraient que c’est pour mieux ignorer les « stratégies du choc ». Comment ne pas se poser la question? Le covid-19, en l’occurrence est aujourd’hui une nouvelle menace qui pèse, selon Planète Amazone, sur les peuples de l’Amazonie quasiment abandonnés à leur sort et à quelques charités.

Aujourd’hui, partout sur la planète sont poussés et repoussés des humains, comme au Brésil, pour s’emparer de leurs forêts-habitats à dessein d’y planter des monocultures diverses (soja, eucalyptus, des céréales pour faire du biocarburant, nourrir du bétail etc…) et soutenir la croissance économique capitaliste – et son synonyme moderne appelé « développement durable » – contre et envers toutes les règles, qu’elles soient d’ordre éthique ou juridique. A noter que c’est peut-être bien là aussi la cause à l’origine du coronavirus. Je profite ici de bien préciser que cet article ne vise pas à spéculer sur une origine fabriquée en laboratoire du virus.

Mais cette logique de destruction apparaît comme le cercle infernal qui se referme, de sorte qu’il semble malheureusement que ce soit dorénavant le monde de la planète fric contre tous les autres. Cela a-t-il toujours été le cas? Non, sûrement pas. Ce qui est nouveau c’est le péril de plus en plus avéré du changement climatique et avec lui ses nouveaux théoriciens de la « barque pleine ». Est-ce là un propos complotiste? Non. Il y a bien assez de think tank à l’éthique entendue qui pensent et déploient des moyens (quasi illimités) pour garantir leur propre suprématie ou celle de leurs maîtres. Pour cela, ils en appellent à une « loi du marché » qu’ils invoquent comme un dieu qui rendrait la justice ou comme une « loi de la nature » pour anonymiser ou naturaliser leurs méfaits. J’ai été stupéfait par ces lignes de Bruno Latour dans un article sur le magazine AOC dont Le Media s’est fait l’écho:

Malheureusement, cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur
programme d’atterrissage. Les globalisateurs, ceux qui depuis le mitan du 20 ème siècle ont inventé l’idée de s’échapper des contraintes planétaires, eux aussi, y voient une chance formidable de rompre encore plus radicalement avec ce qui reste d’obstacles à leur fuite hors du monde. L’occasion est trop belle, pour eux, de se défaire du reste de l’État providence, du filet de sécurité des plus pauvres, de ce qui demeure encore des réglementations contre la pollution, et, plus cyniquement, de se débarrasser de tous ces gens surnuméraires qui encombrent la planète.
N’oublions pas, en effet, que l’on doit faire l’hypothèse que ces globalisateurs sont
conscients de la mutation écologique et que tous leurs efforts, depuis cinquante ans, consiste en même temps à nier l’importance du changement climatique, mais aussi à échapper à ses conséquences en constituant des bastions fortifiés de privilèges qui doivent rester inaccessibles à tous ceux qu’il va bien falloir laisser en plan. Le grand rêve moderniste du partage universel des « fruits du progrès », ils ne sont pas assez naïfs pour y croire, mais, ce qui est nouveau, ils sont assez francs pour ne même pas en donner l’illusion.

Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise. (2020, mars 29). AOC media – Analyse Opinion Critique. https://aoc.media/opinion/2020/03/29/imaginer-les-gestes-barrieres-contre-le-retour-a-la-production-davant-crise/

Le terme « surnuméraire » est aussi celui utilisé par le sociologue Robert Castel pour mettre en évidence une « nouvelle question sociale » où l’entreprise (qu’on pourrait généraliser au « système économique ») tend à fonctionner comme machine à vulnérabiliser et dont l’oppression est une des causes des (nouvelles) souffrances sociales et chroniques (stress, dépression, hypertension, malbouffe, etc…). Ne pourrait-on pas alors voir ces nouvelles maladies comme étant les symptômes qui marquent les humains d’ici en train d’être happés par cette machine infernale qui, là-bas, « débarque » rationalisant à sa manière les « limits to growth » des Meadows?

De ces surnuméraires là, à ceux « débarqués » partout dans le monde, il n’y a pas une distance extraordinaire et surtout, avec le temps de l’avènement des changements climatiques, il se pourrait bien, en fait, qu’il y ait une proximité confondante*.

Pour avoir une idée de cette proximité il faut considérer combien notre société est sociale-darwiniste (en fait spenceriste) (et parfois également eugéniste). Les penseurs ultralibéraux et leurs institutions, Banque mondiale, FMI et d’autres sont des héritiers de la « pensée » de Spencer selon Barbara Stiegler. Avec eux, de très nombreux think tank, lobby, qui « informent » nos États de ce qu’il convient de faire ou non. Ils soutiennent leurs candidats aux élections de manière plus ou moins secrète. De nombreuses « élites » se gargarisent d’excellence, font l’apologie d’intelligences expertes ou artificielles pour bien distinguer les contours de leur monde social de ce qui n’en approche pas : les moins intelligents, moins performants… Il y a quelques promoteurs de ces idées qui sont de moins en moins complexés à les afficher, notamment Laurent Alexandre, soutient indéfectible du candidat Macron et de la « startup nation » en 2017. Il ne va pas jusqu’à mentionner la catégorie « race » mais n’hésite pas à distinguer les « dieux » et les « inutiles ». Les premiers « sont là pour diriger les masses et guider les autres vers la raison » et les autres « sont des inutiles qui sont des êtres intellectuellement inférieurs, incapables de comprendre les enjeux du monde actuel ».

Bien sûr, ces nouveaux adeptes de spencer – de l’eugénisme social et technologique, avec certains transhumanismes – justifient leurs projets par la défenses de ceux qu’ils identifient comme « pauvres » ou « faibles ». Ils tentent justement de les mettre à la hauteur ou de les défendre des « forts »… d’aider les pays pauvres à « évoluer » ou à « progresser ». C’est rapide certes, mais (re)lisons Robert Castel, Bernard Stiegler, Barbara Stiegler, Alain Erhenberg, Dany-Robert Dufour… Ici, je mobilise l’historien Johann Chapoutot pour aller à l’essentiel de mon propos et souligner cette proximité entre « surnuméraires » d’ici, marqués par les nouvelles maladies civilisationnelles et surnuméraires de là-bas, « débarqués ».

Non, il ne s’agit pas de dire que les RH sont des nazis comme on le reproche bêtement à l’auteur… Il s’agit de comprendre que nos organisations productives, férues de management et de gestion des ressources humaines (ou l’État et l’influence du new public management) sont imbibés de spencerisme, et répondent donc au mêmes racines idéologiques que celles qui ont conduits aux délires nazi. Certes, il est « difficile d’imaginer que nous ayons quoi que se soit de commun avec eux » nous dit Chapoutot mais il est rappelé comment ceux-ci se sont inspirés des lois coloniales françaises, des lois raciales ségrégationnistes aux Etats-Unis, sans parler d’un antisémitisme présent en Europe depuis le Moyens-Age etc dans le droit nazi.

Les « métaphysiques » qui supposent l’eugénisme, le racisme, et le spencerisme sont profondément implantés dans nos imaginaires et structures sociales, notamment dans celles qui président nos structures productives (historiquement, elles ont pris leur force avec elles). Or, depuis les années 70, surfant sur la vague de « l’individualisation » l’idéologie libérale s’est affirmée de façon nouvelle : en sus des appels à une flexibilisation du travail, présentée comme indispensable face à la nouvelle compétitivité globale, les organisations sont associées de manière croissante à une ingénierie managériale. Celle-ci « actualise la concurrence comme un principe d’association et la compétitivité comme finalité de toute organisation » (Bruno, 2008). L’appel à la flexibilité est à l’origine d’un démantèlement des protections sociales, ces mutations (néo)libérales de gouvernance et leurs lots d’injonctions ont débouché sur de nouvelles formes de souffrances sociales** (Soulet, 2009) qui peuvent être vues comme autant de violences sociales.

Ces souffrances (qui se manifestent par des dépressions, fatigues nerveuses, troubles obsessionnels du comportement etc) sont liées à « une forme réalisée de la vulnérabilité structurelle », à l’incertitude (Castel, 2009) et aux dimensions de risques dans laquelle nos sociétés contemporaines plongent l’individu. Ainsi est-il placé devant les injonctions parfois paradoxales de liberté mais aussi d’adaptabilité, de s’inventer, d’être autonome, de faire sienne l’importance proclamée de l’épanouissement et de la réussite professionnelle mais de se ménager, et toujours, l’exigence d’anticiper au risque de voir son rapport à la société se tendre, voire devenir conflictuel (Rossi, 2006). Désormais la place de l’individu n’est plus garantie dans un réseau constitutif de sens : « il est de plus en plus le seul dépositaire de ses repères et seul gestionnaire pour construire et légitimer son existence » (Rossi, 2006). Les souffrances au travail (Dejours, 2014, 2015; de Gaulejac, 2011) et des modes de vie inadaptés, liés à ces nouvelles opportunités de consommation (alimentaire et addictive), génèrent des pathologies physiques et psychiques poussant progressivement la biomédecine au-delà de la portée curative de ses interventions.

En définitive, on le voit, il n’y a pas grande distance entre les nouvelles violences sociales et la destructions de nos environnements, chacun victime des mêmes logiques, issues des mêmes métaphysiques prônant l’écrasement indifférencié.

*Pour comprendre cette proximité il faut entrer dans les omissions des médias de masse qui, ont le voit avec le Covid19, ont une difficulté très importante à informer sur une société « entrain de se faire » (pour prendre une expression de Latour) et de montrer comment certains intérêts représentés par de puissantes et complexes structures dont les discours et les organisations ont les moyens de performativité au dépend des autres. Au contraire la plupart des média de masse cherche à stabiliser un point de vue et fixant, si je puis dire, les termes de l’action collective aux attentes des autorités. C’est la promotion d’une société très simple sauf quand on invoque la complexité mais qui – au grand dam de E. Morin – est en fait réduite au « compliqué » et où seul les experts choisis peuvent apporter une vérité. Ici, en aucun cas il est affirmé que cela corresponde a une rationalité bureaucratique ou à une obéissance à des ordres qui « viendraient d’en haut » : ce n’est pas un complot. Non, c’est plus simple et plus problématique que cela. Il y a une espèce de conformation à une loyauté envers un ordre institutionnel auquel on a participé et qui, finalement, nous apparaît (bien entendu) comme étant le meilleur d’autant plus qu’il nous l’a bien rendu. Ce n’est pas de la corruption directe mais systémique : une attitude qui s’écarte de l’effort et de l’honnêteté intellectuelle. Cette réflexion est ici construite sur un « idéal typique », elle ne concerne pas entièrement un média ou l’autre.

**« concept qui renvoie aux contradictions sociales qui traversent l’identité des êtres humains dans une position donnée (Kleinmann, 1997). Cette souffrance surgit au moment où le désir du sujet ne peut plus se réaliser socialement, lorsque l’individu ne parvient pas à être ce qu’il voudrait être » (Rossi, 2006).